Les Van Rompuy

Les frères et soeurs en politique: les Van Rompuy

Plongeons dans les archives de la télévision. 1990. L’émission Strip-Tease (RTBF) consacre un reportage à Eric Van Rompuy, député CVP (devenu CD&V), le franc-tireur de la politique belge et l’aiguillon de son parti. “J’ai quelques gouvernements sur ma conscience”, dit-il, sourire en coin, interrogé dans le salon de la maison familiale. “Je crois que j’ai été à la base de la chute de trois gouvernements. Il ne faut pas en être fier, mais…” ,

Le titre du reportage : “Le frère du président”. Ce frère, c’est Herman Van Rompuy, alors président du CVP. On aurait pu garder le même intitulé des années plus tard. En 2007, lorsque l’aîné des frangins est désigné président de la Chambre des représentants. Ou en 2010, lorsqu’il entre dans l’histoire en devenant le tout premier président permanent du Conseil européen. Dans l’intervalle, il avait encore eu le temps d’être Premier ministre. “Je suis fier de tout ce qu’il a accompli, peut-être même plus fier que lui ”, sourit aujourd’hui Eric Van Rompuy.

“Je suis entré en politique grâce à Herman. Il a été vice-président des jeunes CVP, de 73 à 77. Je l’accompagnais à ses réunions. Il n’y avait parfois que cinq ou six personnes, il était content quand j’étais là pour remplir la salle…, raconte le cadet, amusé. Il prenait la parole et, moi, je l’écoutais. J’ai appris le métier grâce à lui. Aussi quand il était le président du centre d’études du parti (le Cepess). Je voyais ses notes, ses discours, il me passait des livres intéressants. J’ai beaucoup appris avec lui.”

“Herman était un intellectuel, pas un homme du peuple, il était seulement actif dans les milieux politiques et intellectuels. Je ne pensais pas, à l’époque, qu’il se présenterait un jour devant les électeurs.” Le premier des Van Rompuy à entrer dans un Parlement (à l’Europe), c’est d’ailleurs Eric, sept ans avant son aîné. “Mais, au CD&V , on a une tradition d’intellectuels très forts, comme Jean-Luc Dehaene, Gaston Geens ou mon frère. Herman a immédiatement été très respecté.” Après la présidence du parti, il sera ministre du Budget dans les gouvernements Dehaene puis vice-Premier. Jusqu’au renvoi du CVP dans l’opposition en 1999.

“Il a permis au pays de retrouver de la stabilité”

“La carrière d’Herman a été interrompue à ce moment-là. On était tous les deux ministres, lui au fédéral, moi en Flandre. On a tous les deux été envoyés dans l’opposition pendant plus de sept ans, jusqu’en 2007… L’opposition, cela correspondait bien à mon caractère. J’étais chef de groupe au Parlement flamand. Mais lui, il n’a pas mené une opposition forte à la Chambre contre le gouvernement Verhofstadt. Ses années d’opposition lui ont fait prendre du recul. En 2007, j’ai cru qu’il allait quitter la politique. C’était l’époque du cartel CD&V/N-VA. Il ne l’appréciait pas tellement, il n’y croyait pas. On a dû le convaincre d’être à nouveau candidat. Je lui disais : ‘Il faut continuer, on a besoin de toi, peut-être que ton heure viendra .’ Mais je ne pensais pas qu’il ferait encore cette carrière incroyable.”

“Quand Yves Leterme a démissionné de son poste de Premier ministre, fin 2008, tout le monde était d’accord au CD&V pour dire qu’il n’y avait qu’une personne pour lui succéder : Herman. I l n’est resté qu’un an Premier ministre, mais il a permis au pays de retrouver de la stabilité.” À l’époque, la politique belge était empoisonnée par la question de la scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV), un combat à la pointe duquel on retrouvait… Eric Van Rompuy. “Au moment où Herman a prononcé son discours de politique générale à la Chambre, j’étais dans les tribunes de l’assemblée à côté d’Elio Di Rupo, alors président du PS. Et il m’a dit : ‘ Herman va reprendre les choses en main ’ . Herman avait la confiance de Di Rupo.”

En tant que chef du gouvernement, il participait aussi aux sommets européens. Il s’y distinguera vite, selon son frère. “Il a été remarqué par le secrétaire général de l’Élysée (Claude Guéant, NdlR ). Il avait dit beaucoup de bien d’Herman au président Sarkozy. Il l’avait convaincu qu’il était l’homme de la situation” pour prendre la présidence du Conseil européen, un poste nouvellement créé. “Herman était également connu en Allemagne, mais c’est surtout Sarko qui l’avait poussé.”

L’homme d’État et le bouillant président des jeunes

Eric assure ne nourrir aucun sentiment de jalousie. “Non ! Je suis fier de lui , répète-t-il. On est frères, c’est le plus important. Même si ton frère dit des conneries, il reste ton frère.” Eric n’a d’ailleurs pas à rougir de sa carrière politique. Quatre ans ministre, trente-deux ans député. Et une entrée en scène tonitruante à la fin des années 1970 en tant que président des jeunes CVP.

“Herman et moi, on a un caractère totalement différent. Lui, c’était l’homme des compromis, l’homme de la raison, un homme d’État finalement. Moi, j’étais le bouillant président des jeunes CVP.” Avec – on y revient – trois chutes de gouvernement à son actif. D’abord, Martens I, en janvier 1980. Eric Van Rompuy menait le combat pour que Bruxelles ne devienne pas une région à part entière et contre la présence du FDF dans l’exécutif. Ensuite, Martens IV, en avril 1981. Il s’était opposé à un “programme socio-économique qui ne pouvait pas nous sortir de la crise” . “ J’avais fait évoluer mon discours du communautaire vers le socio-économique.”

Enfin, Martens VII, fin 87. Selon notre interlocuteur, la chute du gouvernement avait été précipitée par une interview qu’il avait donnée dans le magazine Knack avec… son frère. “Le Knack m’avait demandé une interview en duo avec Herman. Moi, j’étais député, lui président du centre d’études. Herman m’avait dit : ‘ Je n’aime pas ce genre d’interview, mais je vais quand même la faire. ’ Finalement, il avait été beaucoup plus dur que moi…” Dans leur viseur, deux personnalités : José Happart (PS) et la problématique des Fourons ; et Guy Verhofstadt et sa politique libérale. “Cette interview avait créé une méfiance totale chez les libéraux Verhofstadt et Jean Gol, mais aussi chez Martens, qui se disait que, dans son propre parti, Eric et Herman étaient contre son gouvernement.”

“Je disais toujours à Herman : ‘ Voilà, c’est là que tu t’es fait un nom. ’ Les militants du CVP ont découvert qu’il n’était pas juste un homme d’études, mais un homme politique capable d’être un leader.” Quelque mois plus tard, ce dernier devenait président du CVP. Un poste qui aurait aussi pu revenir à… Eric.

“Dehaene et Maertens avaient proposé Wivina Demeester pour la présidence, rappelle-t-il. Mais, moi, je n’étais pas d’accord avec cette candidature. J’ai dit à mon frère que j’allais déposer ma candidature. Il m’a répondu : ‘ Fais ce que tu veux, mais, personnellement, je ne le ferais pas. ’ Mais je l’ai quand même fait.”

D’autres l’ont imité. Et ils furent sept à se présenter. “Dans la presse, on nous appelait de seven dwergen , les sept nains. De Standaard , surtout, se moquait de nous. Alors Dehaene a dit : ‘ On ne va pas commencer une élection avec sept personnes .’ Il a dit à Herman : ‘ Toi, tu dois le faire .’ Herman m’a téléphoné pour me dire que Dehaene demandait que je me retire. Nous nous sommes tous retirés et Herman est devenu président.”

Tine, la petite sœur engagée au PTB

Ce caractère frondeur a valu des inimitiés à Eric Van Rompuy. “J’ai toujours eu l’esprit combatif, il faut pouvoir rester critique , dit-il. Mais j’ai toujours été loyal envers mon parti, je n’ai jamais voté contre un budget ou un projet de loi.” Sous le gouvernement Michel, par exemple, il dénonçait régulièrement le fait que le tax shift (la réforme fiscale) n’était pas entièrement financé. “Le Premier ministre Charles Michel avait téléphoné à mon président de parti, Wouter Beke, pour dire qu’il fallait faire taire ce Van Rompuy. Mais Beke savait qu’il n’avait aucune chance” , raconte l’ex-parlementaire, hilare.

“Au début de ma carrière, j’avais la protection d’Herman. J’avais une très mauvaise relation avec Wilfried Martens et plusieurs ministres puisque j’avais fait tomber leur gouvernement. Mais Herman m’a aidé à avoir une bonne place sur les listes. Il m’a aidé à être élu.”

Dans la fratrie, ils sont quatre, deux garçons, et deux filles, Tine et Anita. Cette dernière n’a jamais fait de politique. Tine, en revanche, s’est engagée… au PTB. “Oh, on s’entend très bien, assure Eric. Elle connaît bien Raoul Hedebouw et Marco Van Hees (députés PTB, NdlR) . J’avais une bonne relation avec eux.” Fin de la législature dernière, le vote du CD&V, sous l’impulsion d’Eric Van Rompuy, avait été déterminant pour permettre au PTB de toucher une partie de sa dotation publique. “Hedebouw et Van Hees s’amusaient à dire que Tine était parvenue à me convaincre. J’ai toujours eu une très bonne relation avec elle. Elle reste ma petite sœur. Mon père disait : ‘ Il ne faut pas essayer de la convaincre si moi je n’y arrive pas .’ Herman et moi, on a suivi son conseil.”

Eric Van Rompuy le concède : “Au début de ma carrière, j’avais la protection d’Herman. […] Herman m’a aidé à avoir une bonne place sur les listes. Il m’a aidé à être élu.”
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(Antoine Clevers, La Libre, 03.08.2020)